Rubrique personnalités de la musique indienneC’est dans un café du Cours Julien à Marseille que nous avons eu le plaisir de rencontrer GS Rajan (Flûtiste, chanteur et compositeur), Rama Vaidyanathan (danseuse de Bharata Natyam) et Amalor Jean (co-organisatrice avec Richard Maccotta du festival Les Nuits de l’Inde*). Ce soir, GS Rajan et Rama Vaidyanathan se produiront à l’Espace Julien pour la clôture du festival...

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Rajan, pouvez-vous nous dire d’où vient la musique carnatique ?

Rajan : Au niveau de la musique classique, l’Inde se divise en deux : au nord, la musique hindustani et au sud, la musique carnatique. Les instruments les plus populaires de l’hindustani sont le sitar et le sarod (instrument à corde très ancien). Ils ont été amenés en Inde par les musulmans venus d’Iran. Les origines de la musique hindustani sont donc perses. Leurs descendants sont aujourd’hui les parsis. La musique carnatique ou carnatacum-sanjidim (ancienne musique) est l’héritage du peuple dravidien (peau noire) qui est venu s’installer dans le sud de l’Inde.

Rama, vous êtes considérée en Inde comme la danseuse de Bharata Natyam la plus douée de sa génération. Comment en êtes-vous arrivée là ?

rajan_3.jpgRama : Je suis issue d’une famille d’artistes. J’ai commencé la danse classique à cinq ans un peu par obligation. Mon gourou (Yamini Krishnamurthy) a rapidement décelé que j’avais le talent et les capacités pour pratiquer cet art. Il m’a donc encouragé à continuer. Parallèlement à la danse je poursuis mes études et obtiens un master en commerce. Mais à dix-neuf ans, je décide que ma carrière sera dans la danse. Elle est aujourd’hui toute ma vie.

Est-ce que vous enseignez ?

Rama : Oui, j’ai pris la succession de l’école de danse que mon maître a crée il y a trente ans à Delhi. J’y enseigne mon art à une centaine d’élèves.

Vous venez de faire une tournée européenne (Paris, Toulouse, Londres, Madrid). Quelles sont vos impressions ?

Rajan : Il est toujours intéressant de voyager en Europe car il y a une culture très forte. Ici, beaucoup de gens s’intéressent à la culture indienne et cela depuis les années soixante grâce à des grands maîtres tels que Ravi Shankar (sitar), Ali Akbar Khan (sarod) ou encore le chorégraphe Uday Shankar. Ils ont été les premiers à venir en Europe pour faire découvrir au public la musique et la danse classique indienne. Depuis, les artistes indiens reçoivent toujours un très bon accueil.

Quels sont vos liens avec la France ?

Rajan : J’ai longtemps collaboré avec L’Indian Council for Cultural Relations (organisation autonome du gouvernement indien dont l’objectif est de promouvoir les échanges culturels avec d’autres pays). L’ICCR soutient des artistes indiens pour lesquels ils organisent des tournées européennes (principalement en Espagne, en Angleterre et en France). Par l’intermédiaire de l’Ambassade de l’Inde, l’Exodus les a contacté afin de faire venir des artistes à Marseille dans le cadre du Festival des Nuits de l’Inde. J’ai ainsi été un des premiers à venir. J’ai participé aux premières éditions et comme le contact est très bien passé, je reviens régulièrement à Marseille. Aussi, en 2005, j’ai reçu une subvention de l’ambassade de France en Inde pour réaliser une symphonie raga. L’EGIDE, le Centre Français pour l’accueil et les Echanges Internationaux a également participé au projet.

Amalor : Nous avons aussi crée avec Rajan l’association Kailash (le mont Kailash est un lieu sacré hindou où allait méditer le dieu Shiva). Le but de cette association est de promouvoir la culture indienne. Cela va se concrétiser par l’ouverture d’un centre indien à Marseille où toutes les formes d’arts seront représentées : la musique, la danse mais aussi la littérature, le cinéma. Nous organiserons également des conférences. Mais pour l’instant, nous sommes à la recherche d’un local. Nous allons aussi, petit à petit, prendre contact avec des partenaires européens, en Angleterre, en Espagne…Et à terme, en Inde.

Rajan : Kailash et Artindia (conçu par GS Rajan, artindia.net est le premier site Internet consacré aux artistes indiens classiques) organisent en juillet un festival international de musiques et de danses (les 7, 8 et 9 juillet à Delhi). Il y aura bien entendu des artistes indiens mais également des américains, des anglais et des français. D’ailleurs, deux professeurs de flûte du Conservatoire de Marseille se rendront à Delhi pour l’occasion.Nous allons donc annoncer très prochainement la collaboration officielle entre Artindia et Kailash.

Quels sont les artistes que KaÏ-lash souhaite promouvoir en France et en Europe ?

Rajan : Le problème avec les organisateurs européens et français est qu’ils ne font pas forcément venir les meilleurs artistes indiens. Nous allons donc rectifier le tir avec Kailash.

Amalor : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec Rajan. Pour être connu en Inde, il faut être issu d’une famille aisée. L’art est réservé aux privilégiés et c’est pour cela que je crois que nous devons faire venir chez nous des artistes moins connus. Nous souhaitons ainsi donner une chance à des artistes qui n’ont pas trop de moyens.

Rajan : Un autre problème que l’on rencontre en France est le manque de structures qui enseignent la musique et la danse indienne. Pour pouvoir recevoir un enseignement de qualité, il faut donc se rendre en Inde. Mais cela coûte cher. Il faut donc réussir à obtenir une bourse. Pour palier cela, l’association Kailash aura aussi pour but de faciliter les échanges entres des professeurs indiens et des professeurs occidentaux.

Amalor : C’est vrai qu’il n’y a quasiment aucune structure en France à part quelques centres à Paris comme le Centre Soleil. Quant à Marseille, il n’y a vraiment rien du tout.

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Il y a t-il d’autres projets qui vous tiennent à cœur et que vous aimeriez réaliser au travers de l’association ?

Amalor : Oui, nous travaillons actuellement sur le projet "Action autour de l’eau". Nous allons nous rendre en Inde pour forer des puits dans les villages qui n’ont pas accès à l’eau potable. L’idéal serait que deux ou trois personnes restent sur les lieux pour mettre en place les infrastructures nécessaires. Ensuite, et c’est cela le plus important, il faudra apprendre aux gens à construire eux-mêmes les puits. Nous sommes actuellement en contact avec une petite entreprise qui est prête à s’investir avec nous et à nous suivre en Inde. Nous allons aussi essayer de trouver des mécènes comme par exemple Mittal, le géant indien de l’acier.

Un projet humanitaire donc ?

Amalor : Je n’aime pas trop le terme "humanitaire". L’année dernière nous avons organisé au Dôme de Marseille un concert de soutien pour les victimes du Tsunami. Rajan a d’ailleurs participé à la soirée. Les bénéfices ont été reversés à de célèbres associations humanitaires. Le problème est que nous n’avons pas été tenus au courant de l’affectation de nos dons. Cela nous a un peu énervé de voir qu’il y a un manque d’information autour de la redistribution de l’argent. Voilà pourquoi nous allons agir directement et sans intermédiaire avec l’association Kailash.

Que penser vous de l’engouement qu’il y a en France autour de l’Inde ? Est-ce une mode ?

Rajan : L’Inde a toujours était à la mode en occident. Une mode qui a connu des hauts et des bas mais qui est restée ancrée depuis les années 60. Je pense que c’est une très bonne chose pour le développement de l’Inde. Cependant, il faut être vigilant avec ce qui arrive. La culture indienne ne doit pas être déformée et l’on doit se méfier de certains escrocs qui usurpent l’identité de gourou (en Inde, un gourou est un professeur, un maître). En ce qui concerne la musique classique, elle sera toujours présente. Les modes vont et viennent, mais la musique classique reste. Un peu comme Mozart ou Beethoven dont les œuvres sont intemporelles et indémodables.

Rama : Le plus important est que la culture passe par le cœur.

Et Bollywood ?

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ajan : C’est aussi une bonne chose mais il ne faut pas que les gens croient que l’Inde se limite à Bollywood.

Quels sont vos projets, vos envies ?

Rajan : Je veux mettre l’accent sur l’aspect artistique. J’ai envie que la culture indienne s’exporte et je veux donc amener en occident toujours plus d’artistes. Pas seulement des musiciens mais également des peintres ou des écrivains. Il faut aider ceux qui ne peuvent pas "s’exporter" tous seuls. C’est avec des festivals comme Monsoon Festival (organisé par Artindia, du 7 au 9 juillet 2006 à Delhi) que peuvent émerger de nouveaux talents.

Rama : Je voudrais faire autre chose que de la danse et des tournées. Si cela est possible et si l’on me propose quelque chose de sérieux, j’aimerais beaucoup participer à un projet humanitaire.

Propos recueillis par Patrick Jaluzot le 20 mai 2006 à Marseille.
Traduit de l’hindi par Jean Amalor

*Le festival Les Nuits de l’Inde est organisé par l’association Exodus

Pour en savoir plus
Site Art-India
Site de GS Rajan
Site de Rama Vaidyanathan