Le musée du Quai Branly propose du 30 octobre au 2 novembre prochain un spectacle photographique de Serge Koutchinsky, avec l’ensemble de chants dévotionnels bhajan Mahesa Ram et les danseuses sacrées Teratali du Rajasthan. Une création inédite en France accessible gratuitement dans la limite des places disponibles...
Cette création aborde le thème de la mort à travers les chants et danses mystiques du Rajasthan, auxquels se mêlent les magnifiques photos de Serge Koutchinsky, consacrées à Manikarnika Kashi, le ghât de la crémation de Bénarès.
En quête de délivrance éternelle, la crémation réalise l’acte de transcendance. La mort devient soudain illumination, à l’image de ces linceuls baignés d’une clarté presque divine. Loin de tout voyeurisme, de tout effet de reportage à sensation, c’est la beauté vraie et pudique de ce rituel d’eau et de feu qui émane des photos uniques de Serge Koutchinsky. Les chants de louanges bhajan de la grande poétesse Mirabaï dédiés à Krishna, qui aident quarante jours durant l’âme du défunt à trouver la paix, et le rituel des danseuses teratali de la région d’Udaipur, accompagnent cette quête de l’intime.
Serge Koutchinsky - Mokcha
Lettre de Serge Koutchinsky
Varanasi, Manikarnika ghât, le 25 octobre 2005
De savoir que Shiva, le Grand Shiva cette fois, s’emparait de ma création, avait quelque chose de surréaliste et de divin. Avec cette exposition, je venais d’offrir à ceux qui m’avaient permis durant cinq années de photographier ce lieu, le plus sacré de l’hindouisme, de voir ce que j’en avais fait. C’était à la fois un cadeau que je leur faisais, et pour moi un honneur de pouvoir exposer sur un lieu aussi sacré, Manikarnika ghât, le ghât de crémation de Varanasi. Ces photos offertes aux Indiens brûlaient maintenant, sur le lieu où elles avaient été créées. Ce n’était pas une libération, mais le signe d’une nouvelle naissance. Comme les hindous qui viennent mourir ici pour faire de leur corps la dernière offrande aux dieux, j’offrais à Shiva (le destructeur) et à Vishnou (le créateur) mon humble travail. Je n’avais pas, comme mes voisins, pour espoir de ne plus revenir ici, mais mon nouveau karma serait désormais d’aller porter la mort et son image si cruelle chez nous, avec une vision différente ; celle que voudront bien y trouver ceux qui regarderont ces photos. Voir la mort autrement, avec tranquillité, plus sereinement, voir la mort humainement, voir la mort en face, l’accepter comme les hindous, comme une nouvelle naissance. Donner à la mort un sens d’éternité, de présence, de vie. Expliquer la mort, c’est comme vouloir expliquer la vie. Puissent ces images donner l’envie de voir la mort sous le visage que semble nous suggérer l’Inde. "Oui, mais la mort n’a pas le même sens en Inde", ai-je souvent entendu. Mais au fond, quel sens a t-elle chez nous ? Jean d’Ormesson disait récemment dans une interview que la vie n’avait pas de sens, que l’on voyait tous nos amis partir les uns après les autres, et que pour finir on partait nous aussi en vain. Puissions-nous partir avec autant de tranquillité, avec autant de joie que ces habitants du Gange.
Les danseuses sacrées Teratali
Les danseuses et chanteuses Teratali (tera, douze ; tali, rythmes) sont les petites déesses colorées des temples du Rajasthan, dont la danse se mêle au sacré et au rituel du quotidien. Avec une rare précision, deux cymbalettes manjirat, fixées à la main par un long fil, tournoient en l’air et s’entrechoquent (chhut manjira) contre d’autres cymbalettes, elles-mêmes fixées sur les avant-bras et les mollets des danseuses de la caste Kamad. Cette virtuosité contraste avec la position agenouillée de ces dernières rappelant d’antiques prêtresses de l’Inde, de l’Asie ou de l’Égypte ancienne. Ainsi, l’utilisation des cymbalettes prend son inspiration du gujarat, où cette technique est très courante dans le répertoire bhajan. Comme la lumière du soleil se reflète sur la lune, la lumière d’une bougie effleure la surface de ces cymbalettes. La bougie est posée sur un lota, pot métallique juché lui-même sur la tête de la danseuse, un sabre (talwar) entre ses dents. Ce cérémonial magique est un rite dévotionnel (bakhti) dédié au grand Saint Baba Ramdev, le poète, qui accompagne ces danses à la tambûrâ (tandûrâ au Rajasthan). Le cérémonial met à l’honneur la vie par une narration poétique souvent reprise par le chant des femmes. Adulé comme un dieu, Saint Baba Ramdev vit en Inde entre la fin du XIVe siècle et le début du XVIe siècle. La démarche de Baba Ramdev s’accompagne d’un discours mystique et d’une spiritualité au quotidien. Cette spiritualité permet à des castes défavorisées au sein de la hiérarchie brahmanique, de s’affranchir et d’accéder à une dignité religieuse. Les moines nomades créent des courants mystiques comme le Kamadiyya Pandth, secte à laquelle appartiennent les Teratali. Aujourd’hui, cette danse renaît, grâce au patronage des commerçants exilés dans le sud de l’Inde. Presque tous les villages du Rajasthan possèdent un temple dédié à Baba Ramdev. Lors des nuits de dévotion, cette danse devient l’expression du quotidien : les danseuses Teratali miment les tâches ménagères (le grain à moudre, la confection de la pâte, l’application du khôl sur les yeux). La danse inhabituelle exprime une large palette d’émotions sacrées et profanes, liées à l’essence même de la femme traditionnelle indienne.
L’Ensemble des chants dévotionnels bhajan Mahesa Ram
Le groupe Mahesa Ram chante le bhajan et les poésies sacrées du Rajasthan. Le bhajan, chant religieux de l’Inde, est synonyme de dévotion. La bakhti, sentiment d’abandon à la divinité, de renoncement et d’alanguissement pour l’être absent, prend chair au Rajasthan, dans l’adoration du seigneur Krishna. Dans les anciennes petites forteresses Rajputana (anciennement le Rajasthan), perchées aux sommets de collines escarpées, on aime chanter et psalmodier les pada, poésies composées par la petite princesse rajpoute Mira Baï, symbole de la noblesse, du dévouement et de la fidélité de la femme. Mira Baï naît sans doute sous le règne de Sikandar Loki (1489-1557), à une époque de rivalités intenses entre clans rajpout. En 1516, elle se marie à Bhojraj, fils du Maharana Sanag (Roi Soleil), prince du royaume de Mewar. Enfant, elle est tombée amoureuse d’une petite statuette du dieu Krishna. Et selon l’héritage vïshnouiste de sa famille d’origine, elle consacre sa vie à la dévotion et à la louange au seigneur Krishna. Le chant, la poésie et la danse sont sollicités. Cinq ans après son mariage, elle perd son mari. Isolée, elle doit faire face à la réprobation de sa belle-famille royale, dont le culte shivaïte est dédié à la déesse Durga, protectrice de la ville. Dans un monde où l’amour sacré et l’amour profane s’entremêlent constamment, dans ce désir de fusion divine, où l’érotisme du couple divin Radha et Krishna symbolise l’amour absolu, personne mieux qu’une femme ne peut exprimer cette vision mystique. Cette dernière s’affirme aussi comme une véritable allégorie de la condition de ces femmes, qui pleurent l’absence de l’être aimé (mari, amant ou famille lointaine).
Samedi 1er novembre à 18h
(accès libre dans la limite des places disponibles)
Une conférence introductive de Serge Koutchinsky sur Manikarnika, ghât de crémation de Bénarès
Depuis vingt-cinq ans, je viens régulièrement à Varanasi (Bénarès). Pas une fois, je ne m’étais rendu sur Manikarnika ghât, le ghât des crémations, le lieu le plus sacré de l’hindouisme. Très souvent le batelier qui me menait d’un ghât à l’autre avait essayé de me tenter pour quelques roupies. Quelques roupies pour une photo dérobée. L’âme du mort arrêtée dans son ascension au Nirvana pour une photo… et quelques roupies. Il y a un peu plus d’un an, je me trouvais à Varanasi en pleine mousson. Le Gange recouvrait la totalité des ghât et débordait dans la ville. "Vous devriez essayer d’avoir l’autorisation", m’avait lancé le propriétaire de l’humble chambre que j’occupais non loin de Manikarnika, une autorisation de photographier les crémations… Les autorisations obtenues, j’entrais au pays. J’y ai pleuré (en cachant mes larmes). J’y ai ri. J’y ai fait les rencontres les plus inattendues. Les Dom, les intouchables qui dirigent le ghât sont devenus mes amis. Les enfants qui peuplent ces lieux sont devenus mes complices. La mort m’est apparue plus douce. Shiva habite sur le ghât de Manikarnika. Il vient murmurer aux oreilles des défunts les phrases libératoires. L’offrande de son corps pour libérer son âme. Cette âme qui atteint le Nirvana arrêtant le cycle des réincarnations. Ne plus revenir sur la Terre pour y souffrir un nouveau karma.
Serge Koutchinsky
Coproduction musée du quai Branly – Arts 276 / Automne en Normandie.
Production exécutive : Zaman Arts
Quand ?
Durée du spectacle : 1h15
4 représentations : jeudi 30, vendredi 31 octobre 2008 à 20h
Samedi 1er novembre 2008 à 20h, dimanche 2 novembre à 17h
21 octobre au Lieu Unique (Nantes)
28 octobre au Festival Automne en Normandie (Rouen).
Combien ?
Accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles
Où ?
Musée du Quai Branly
222 rue de l'Université - 75007 Paris
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