iap_vig_5.jpgCela faisait bien des années qu’on n’avait entendu à Paris ce duo phénoménal qui perdure depuis une trentaine d’années, le jeune prodige Zakir ayant accompagné le maître du santour dès l’âge de 16 ans. Et pourtant les deux amis se retrouvent régulièrement à travers le monde et en Inde en particulier, où ils sont l’attraction majeure des festivals d’hiver. Ils se retrouveront les 7 ou 8 octobre au Théâtre de la Ville...

Un autre célèbre duo a rythmé l’histoire instrumentale de la musique hindoustanie. Celui constitué pendant vingt-cinq ans de Ravi Shankar et Allah Rakha (incidemment le père de Zakir) s’est fait connaître en Amérique devant les quatre cent mille jeunes venus assister à la mi-août 1969 au Festival de Woodstock, joyau révélateur de la culture hippie à travers le monde grâce au documentaire réalisé un an plus tard par Michael Wadleigh et monté par Martin Scorsese. La musique indienne allait ainsi attirer un tout nouveau public venu écouter entre autres les idoles d’une nouvelle tendance, tels Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jœ Cocker ! Un duo exceptionnel certes, mais Ravi Shankar aurait fait la même carrière avec Chatur Lal (frère de Ram Narayan, sarangi), génie du tabla prématurément disparu avec qui il avait donné ses premiers concerts aux États-Unis. Rien de comparable avec le duo Shivkumar Sharma – Zakir Hussain, qui est d’un autre ordre.

Shiv Kumar Sharma
Shiv Kumar fut d’abord un excellent chanteur et un joueur de tabla confirmé. Son instrument est percussif, d’où une sorte de symbiose naturelle entre les deux interprètes, servie par une intelligence partagée de la musique. Un concert du santouriste accompagné par un autre tabliste que Zakir n’a rien à voir avec le duo présenté ce week-end où un monde magique se fait jour d’une façon aussi évidente que mystérieuse.

shivkumar_sharma.jpgShivkumar Sharma l’innovateur
Shiv Kumar Sharma a eu la chance d’apprendre maintes compositions (bandish) auprès de son père Uma Dutt Sharma, chanteur attitré du Raja de l’état de Jammu, situé au sud du Cachemire. Outre la connaissance des raga-s qu’il assimile dans son enfance, la fréquentation quotidienne de compositions anciennes, véritables chefs-d’œuvre est à la base du jeu suprêmement raffiné et si élégant de cet aristocrate de la musique qui appartient à la caste hindoue des brahmanes. La pratique acquise du chant et du tabla par le jeune homme inspire à son père une suggestion pour le moins inattendue : celle d’essayer de jouer du santour, instrument d’origine iranienne, utilisé au Cachemire pour l’accompagnement de chants rituels soufis (Sufiana Mausiki). Dans le reste de l’Inde ce cymbalum demeure alors totalement inconnu, bien qu’il figure dans les textes anciens sous le nom de Shata-Tantri Veena.
Fort perplexe mais intrigué par la gageure de jouer d’un "instrument mystique"
Shiv Kumar Sharma s’adonne à une recherche pour perfectionner ce cymbalum par un agrandissement de la caisse et un rajout de cordes pour couvrir trois octaves. Alors que Pannalal Ghosh et Bismillah Khan* faisaient accepter la flûte bansuri et le shanaicomme instruments classiques, le pauvre santour souffrait d’un défaut rédhibitoire : comment jouer ces fameux glissandi et oscillations qui expriment si bien l’âme des raga-s ? Shiv Kumar s’attelle à la tâche, pour parvenir à résoudre cette quadrature du cercle. Avec ses doigts de velours, il invente une technique toute en finesse pour jouer l’alap introductif, faisant miroiter les notes de ses fines baguettes avec une douceur incomparable. Un concert à All India Radio (Bombay) le lance en 1955. Le défi est relevé alors qu’aucun musicien ne croyait réalisable un tel tour de force. Shiv Kumar Sharma rentre dans l’histoire en réussissant à imposer son nouveau-né sur les scènes classiques avec l’assurance et l’autorité d’un maître.


zakir_hussain.jpgZakir Hussain – une révolution dans l’art du tabla
Le fils prodige d’Alla Rakha a dû se faire non seulement un prénom, mais un nom ! Et il s’est battu pour ça. Zakir Hussain a révolutionné l’art du tabla en faisant chanter les graves comme une contrebasse. Des sons profonds et tranchants, d’une rondeur chaude et éclatante à couper le souffle. Sa main droite si volubile est une danse de haute voltige comme on peut le remarquer si bien lorsqu’il l’utilise seule. Les deux mains frappant ensemble, cela touche à la magie réservée à l’élu. Lorsqu’il joue avec Shivkumar, il se considère comme accompagnateur et non comme soliste, ses improvisations ayant lieu par intermèdes dans le déroulement des compositions, alors qu’en compagnie de Sultan Khan ( sarangi), il peut présenter un vrai solo de tablaselon les normes, accompagné par le lehra, ritournelle qui indique le cycle rythmique utilisé. Qu’on l’entende dans une formule ou l’autre, il est toujours le magicien qu’on connaît. Zakir, sorcier des cavalcades en apothéose, les yeux levés au ciel dans des embardées puissantes et haletantes a déjà marqué la musique mondiale de son empreinte. Zakir, le "Tabla Wizzard", né musulman et adopté par le public hindou comme une réincarnation de Krishna, voilà le miracle… Zakir, aimé de tous les musiciens et du public et admiré de tous : en Inde les foules qui se pressent pour le voir nécessitent la présence d’un service d’ordre : du jamais vu. Zakir, hors norme, mais simple, courtois et accueillant, d’une intelligence juste. Zakir, généreux, défenseur absolu de tous les musiciens du monde. Zakir qui écoute gravement l’ alapdu soliste, toujours tourné vers lui pour mieux s’imbiber  de sa musique. Zakir, si rapide comme nul autre à anticiper, sans aucune hésitation, en osmose avec Shivkumar pour un voyage en alchimie. Zakir en transe mais aussi Zakir l’humoriste, malicieux et léger. Un monstre de scène se prêtant à toutes les fusions. Un mythe déjà.

Musiciens
Shiv Kumar Sharma (santour)
Zakir Hussain (tabla)

Dates et Heures
samedi 7 octobre 2006 à 17h Raga-s de la fin de la fin de l'aprés-midi
dimanche 8 octobre 2006 à 11h Raga-s du matin

Tarif
Normal : 16€
Réduit : 11.50€
Abonnés : 10€

Lieu
Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet
75004 Paris
Métro Chatelet
Tél. 01 42 74 22 77

Liens utiles
Site du Théâtre de la Ville
Site de Shiv Kumar Sharma
Site de Zakir Hussain

* Gageons que Shiv Kumar Sharma dédiera ces concerts à la mémoire de Bismillah Khan, disparu tout récemment. (voir Le Monde du Jeudi 24 août 2006, "Disparitions», article de Patrick Labesse).